Les Earthships : Construire avec des déchets

Sur les routes du Nouveau-Mexique, nous nous sommes rendus dans la petite ville de Taos, ou nous avons découvert le projet Earthship Biotecture, initié par l’architecte américain Mike Reynolds il y a plus de 40 ans. En 72, il construit sa première maison à partir de cannettes recyclées à Taos, bastion de l’architecture solaire passive à cette époque. Après plusieurs années de recherches, il construit le premier Earthship en 88, qui sera le début d’un mouvement grandissant. Aujourd’hui des Earthips sont construits dans plus de 20 pays dans le monde, et le mouvement continue de se diffuser.

Cette communauté de Earthships , située à quelques kilomètres de la ville de Taos, regroupe près de 70 habitats, installés sur un grande plaine privée, bordée de montagnes. Malgré nos tentatives de contact, nous n’avons pas pu rencontrer le « père » des Eartships, mais l’accueil dans la communauté est organisé pour apporter au visiteur toutes les informations nécessaires sur le concept et la technique constructive.

EarthShips : Késako ?

Un Earthship est construit principalement à partir de déchets recyclés et de terre. Son créateur parle de « Radically sustainable building », édifices radicalement durables, qui fonctionnent entièrement hors réseau. Le bâtiment est autosuffisant sur tous les plans : il se chauffe et se rafraîchit lui-même, collecte l’eau dont il a besoin, génère sa propre énergie, contient et traite les déchets qu’il produit et produit de la nourriture, fruits et légumes plantés dans la serre, intégrée à l’habitat.

Conception d’un Earthship : application des principes bioclimatiques fondamentaux

Orientation

Le bâtiment est systématiquement orienté vers le sud. Sa performance thermique est basée en partie sur le fait qu’il soit semi-enterré. Les trois murs nord, est et ouest sont donc bâtis en soutènement, ce qui permet d’apporter une grande inertie de masse thermique et de réguler la température du bâtiment grâce à la température constante de la terre.

Lumière, chauffage et ventilation

La façade Sud, doublée d’une grande serre sur toute sa largeur, permet l’apport de lumière naturelle et la régulation thermique. Sa forme permet l’entrée des rayons du soleil en hiver, qui chauffent les  murs qui emmagasinent cette chaleur avant de la relâcher progressivement (le fameux principe de l’inertie thermique dont on vous parlait ici) . Les rayons du soleil en été ne pénètrent alors que dans la serre pour les plantes, permettant de conserver la fraîcheur à l’intérieur du bâtiment. Un système de ventilation naturelle à travers de larges conduits enterrés, ajoutés à des ouvertures en toiture, permettent la circulation d’un air frais toute l’année grâce à la fraîcheur naturelle de la terre profonde. Des panneaux solaires et systèmes de batteries permettent l’autonomie en électricité.

Récupération des eaux de pluie et circuit de l’eau dans le bâtiment

Un système de récupération des eaux de pluie et de fonte de la neige sont installés sur l’ensemble des toitures permettant de stocker l’eau dans des grandes citernes, enterrées à l’arrière de l’édifice. Par gravité, l’eau alimente un système appelé le « Water Organizing Module ». Cette unité filtre, pressurise et pompe l’eau à travers l’édifice et  jusqu’au système de chauffage solaire en toiture. La récupération d’eaux de pluie sur l’année suffit à l’’indépendance totale de l’édifice, et ce pour des climats ou il ne pleut que 18 centimètres à l’année à l’année.

Cette performance est possible car un Earthship utilise quatre fois l’eau qu’il collecte, pour différents usages, avant de la rejeter à la terre. Une première fois, l’eau est utilisée pour alimenter évier et  douche. Elle traverse ensuite un filtre de particule  à travers un système de phyto traitement, alimenté par des pompes solaires (Les produits ménagers utilisés sont évidemment systématiquement naturels). Pendant son parcours, l’eau permet la croissance des plantes intérieures, remplissant ainsi un second rôle, et est oxygénée par les racines. Elle en sort assez propre pour pouvoir être utilisée  une troisième fois pour les toilettes. Les eaux grises sont ensuite évacuées vers un système d’épuration conventionnel type fosse septique. Les eaux nettoyées qui en sortent sont enfin utilisées une quatrième fois pour l’arrosage des plantes sur le terrain, aux alentours du bâtiment.

Technique constructive : Des murs en pneus et terre

Les murs porteurs sont bâtis en pneus recyclés. Chaque pneu est rempli de terre, compactée manuellement. Ils sont ensuite empilés les uns sur les autres selon un appareillage similaire à des blocs de pierre. La construction d’un Earthship peut nécessiter entre 500 et 5000 pneus. Une fois le mur monté, les interstices entre les pneus sont bouchés avec du mortier et des canettes recyclées. Un chaînage béton est ajouté en tête de mur pour la stabilisation de l’ensemble. Le plus souvent, un enduit de terre crue est utilisé pour la finition intérieure.

 

Pour les murs périphériques en pneus, une espace de terre compactée est créé entre le mur et le terrain naturel, afin d’augmenter la masse thermique du mur. Une petite isolation thermique est ajoutée ainsi qu’une étanchéité.

Une fois stabilisée,  cette structure massive fonctionne comme un monolithe. Des fondations en béton ne sont pas nécessaires.

Technique constructive : Des cloisons en bouteilles et canettes

Les cloisons intérieures sont construites à partir de canettes et de mortier. Les canettes sont ajoutées à la masse de mortier, d’avantage comme un remplissage de tout venant, plutôt qu’un réel système de briques. Ce système permet surtout d’économiser de la matière.

Crédit Photo EarthshipBiotecture©

Dans certains cas, des bouteilles en verre sont utilisées dans les murs, permettant de laisser  entrer la lumière. Avec cette technique, les constructeurs d’Earthships laissent libre cours à leur imagination, produisant des formes et des motifs organiques et psychédéliques…

Avec un peu de recul…

Sur le papier, ce procédé constructif qui fait appel à des matériaux locaux et permet le recyclage des déchets semble n’avoir que des avantages. Néanmoins certaines facettes du projet poussent à s’interroger.

A l’origine de la démarche l’utilisation des pneus usagés comme matériau de construction a apporté une réelle solution à un problème de pollution locale. Mais aujourd’hui, quand des filières de recyclages existent, pourquoi ne pas se passer des pneus au profit de murs uniquement en terre crue ? De même pour les canettes.

D’autre part le discours de reproductivité de la technique n’importe où dans le monde nous a paru un peu trop commercial. Une fois de plus, les pneus et les déchets, bien que présents dans de nombreuses parties du globe, sont-ils les matériaux les plus adaptés à une construction saine ?

Comment assurer une régulation passive de l’humidité dans une habitation ou les murs sont composés à plus de 50% de matière synthétique imperméable à la vapeur d’eau ?

Autant de questions sur lesquelles, selon nous, il est au moins nécessaire de s’interroger avant de décréter qu’il s’agit d’une solution idéale.

C&W.