Jean-René Martin

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Jean-René…

j-r-portrait-2…habite Nouvelle, en Gaspésie. Il est jardinier, musicien, tient une maison d’hôte et a fait des études en aménagement du territoire. Depuis des années, il réfléchit sur  la question d’un mode de vie à faible impact sur l’environnement. Il s’est construit un lieu et un mode de vie en accord avec ses convictions. Il a rénové sa maison avec des matériaux de récupération, il cultive son jardin pour être auto-suffisant en fruits et légumes. Il pratique aussi le troc avec les producteurs de son village pour d’autres denrées alimentaires qu’il ne produit pas lui-même. Enfin, il puise dans la  nature tout ce qu’il peut trouver de comestible : récolte de plantes sauvages, cueillette de champignons, pêche. Loin de l’idée d’une vie en autarcie, il réfléchit à une dimension collective et sociale à donner à sa pratique de la terre. Il tente de trouver des réponses à des questions plus globales sur l’évolution de la société et la nécessité de l’organisation des hommes entre eux dans une cohérence environnementale.

Au-delà des habitudes alimentaires et des questions de production agricole de masse, Jean-René réfléchit depuis longtemps à la conception d’une nouvelle façon d’occuper le territoire. Il imagine une vie de cultivateur nomade, au cours de laquelle il se déplacerait de terre en terre pour mettre en place des projets de cultures et de jardins avec les populations. Des projets qu’il participerait à lancer, en formant et en transmettant ses connaissances aux populations, puis qu’il laisserait ensuite pour en établir un autre plus loin.

Pour mettre à bien ce mode de vie, il a conçu en détail son projet d’habitation nomade, qui doit pouvoir se démonter, se transporter et se remonter facilement, en tirant le meilleur parti des énergies naturelles des sites dans lesquels il s’implantera. La forme est ronde, la structure est en poteaux de bois, entre lesquels sont empilés des ballots de paille. Ces poteaux servent aussi à venir tendre en extérieur une bâche qui viendra maintenir l’ensemble. L’aspect de la construction est celui d’une yourte. Au Sud, une partie de la façade est vitrée, et une partie du plan intérieur est utilisée en serre pour la culture de plantes et sert de régulation thermique pour le bâtiment. Le plan intérieur s’organise autour d’un espace de vie central, sur lequel s’ouvrent les deux chambres. Les besoins en cuisson et chauffage sont assurés par un poêle à bois central. Des panneaux solaires alimentent les besoins en électricité. L’ensemble des ballots de paille et des poteaux bois ainsi que les meubles tiennent sur une remorque de camion. C’est au cours d’une conversation que Jean-René nous expose sa réflexion :

EXTRAITS DE CONVERSATION

 

C&W : Comment en es-tu venu à mener une réflexion personnelle sur l’impact de nos modes de vie sur notre environnement ?

JR : « J’ai toujours été en contact avec la nature et j’ai toujours été très curieux de comment ça se passe. J’aime comprendre comment les systèmes fonctionnent. On s’est toujours pensé au sommet de la chaine alimentaire, on s’est toujours vu en haut, alors qu’on n’est pas en haut… on est dedans. On en fait juste partie. En haut de nous, y’a des vermiceaux dans le jardin qui vont s’occuper de nous autres… !

Je suis autant quelqu’un d’hyper rationnel et scientifique, qu’artiste..  Il a fallut que je fasse un inventaire de moi-même avant de décider comment j’allais aborder les questions de « qui je suis, qui je veux être »,  « qu’est-ce qu’il y a autour de moi », (…) et enfin, « qu’est-ce que moi je veux faire ? »

Comparativement à ce que mon grand-père bâtissait comme maison, des belles maisons qui durent, je me suis demandé si c’était vraiment le modèle adapté ici. Ce n’est pas parce qu’on a toujours fait les choses comme ça et qu’on les faisait bien, que ça veut dire que c’est le bon modèle. »

C&W : Quelle ont-étés tes premiers constat de cette réflexion sur nos modes de vie ?

JR : « D’abord, je me suis rendu compte que j’étais moins sédentaire que ce que je pensais. Je me suis aussi rendu compte que la sédentarité est peut-être la chose qui a l’impact le plus dur sur la planète. La sédentarité ET la concentration des gens. On brûle tout ce qui est autour de nous autres. Cela nécessite un appel de ressources qui puise dans les régions. Après il y a tout le côté géopolitique de cette question  puisque c’est dans les centres décisionnels qu’on décide ce qu’on va aller puiser dans les régions et à quel  rythme. Mais le plus gros impact qu’on a sur le territoire ici, ce n’est pas ce qu’on fait nous dans la région, ce sont les besoins pour nourrir les concentrations de population ailleurs.

Donc je me dis, même si moi je m’installe quelque part avec deux ou trois personnes, pour un petit environnement autour de moi, c’est déjà une concentration de population et mes besoins vont impacter sur tout ce qui est autour. »

C&W : Comment as-tu construit ta réflexion sur ta manière d’habiter le territoire ?

JR : «Je m’applique une règle de vie, qui s’inspire  d’une méthode de réflexion que j’ai apprise quand j’étudiais l’aménagement du territoire, basée sur l’inventaire des étapes d’un projet. Finalement, c’est arriver à classer tes idées quand tu veux réfléchir à quelque chose ou avant de faire une intervention, quelle qu’elle soit sur le territoire.

Cette méthode de réflexion, c’est en quelque sorte, passer d’une approche systémique à une approche systématique. C’est-à-dire qu’au moment de ton installation dans un lieu, tu vas d’abord avoir une approche systémique. Tu vas observer ce qu’il y a autour de toi et faire un inventaire exhaustif de tout ce qui est là, incluant toi-même et les gens autour, en prenant en compte les facteurs environnementaux, psychologiques, sociaux, géopolitiques etc., tout rentre en compte. Ensuite,  tu vas analyser tout ça en fonction de ton objectif à long terme. Suite à ça seulement tu fais une  proposition de projet et tu l’installes. Puis tu recommences systématiquement la réflexion : Quels sont-tes impacts du fait de t’être installé là ? Et tu fais à nouveau l’inventaire des choses autour de toi. C’est une réflexion qui est tout le temps en mouvement. La nature ne s’arrête jamais, elle n’arrête jamais d’évoluer et d’essayer de contourner les obstacles qu’on met devant elle. »

C&W : Et donc, comment t’imagines-tu habiter le territoire ?

JR : « J’en suis arrivé à me dire que j’aime une forme de sédentarité, mais si je veux pouvoir bouger sans avoir à utiliser trop de ressources pétrolières, j’en arrive à un modèle que je peux déplacer, un peu comme un escargot. Un habitat que je peux démonter tranquillement puis changer de place.

J’ai appris avec la permaculture, que tu peux prendre un terrain quelque part,  en faire un beau jardin, puis le laisser à quelqu’un d’autre. Moi ce serait un peu ça. Imagines, si je pouvais trouver une grande parcelle quelque part, je bouge ma maison dessus, je travaille le sol sur le terrain autour, j’améliore ce coin, je prépare des espaces de culture, puis après ça je m’en vais et je laisse la terre à quelqu’un d’autre. Ou bien, des gens viennent m’aider, puis ça leur appartiendra ensuite. C’est un peu un concept de communauté, sur le principe de l’entraide et du transfert de connaissances. 

En réfléchissant à ce projet, je me suis imaginé que je pourrais offrir un service aux municipalités ou villes. Je pourrais m’installer sur une parcelle à revitaliser et transformer l’endroit en lieu de permaculture pour ses citoyens. Et après quelques années, quand c’est prêt et bien pris en main par le milieu, je déménage mon baluchon vers un autre endroit. Ça satisferait mon besoin de bouger et celui de prendre le temps de rencontrer l’autre.»

C&W : A l’issue de ta réflexion, quel type d’habitat as-tu imaginé, qui répondrait au mieux à ta façon de t’installer dans le territoire ?

JR : « J’ai en tête quelque chose de démontable, utilisant des matériaux légers. J’ai sorti le métal de l’équation, c’est trop un gros conducteur froid et de chaleur. Le bois en revanche, on en a beaucoup chez nous. Il suffit de faire attention et d’utiliser la ressource de manière cohérente et arrêter les coupes à blanc pour pratiquer une gestion régulée de la forêt.  J’ai étudié les habitations nomades sur la planète, puis j’ai réfléchi en fonction des conditions climatiques du Québec.

Le modèle de maison que j’ai imaginé est basé sur le plan du tipi et de la yourte. Dans un premier temps, j’avais imaginé un projet de tipi géant sur deux étages. Mais le problème du tipi c’est la gestion de la chaleur dans la hauteur. Ici les maisons acadiennes anciennes étaient souvent basses de plafond, pour une meilleure gestion de la chaleur l’hiver. Ce qui fait que le modèle de la yourte me semblait plus adapté. Le plafond bas et la forme ronde permet de faire facilement circuler l’air à l’intérieur. Puis c’est simple de construction. Sauf qu’une yourte traditionnelle n’est pas assez isolée pour l’hiver ici. Certains hivers, tu peux avoir 3 à 4 mètres de neige. »

Concept

« Donc j’ai imaginé une construction en ballots de paille, sur un plan rond, bâchée par l’extérieur à la manière d’une yourte. Le plan est un polygone à douze côtés, basé sur la dimension standard du ballot de paille. Chaque côté est constitué de trois longueurs de ballot de paille et un poteau bois est positionné à chaque angle. De cette manière, j’obtiens une yourte de 30 pieds de diamètre (9 mètres).

J’ai dessiné mon plan en fonction de ce que j’ai déjà comme matériau de construction dans ma maison, à savoir les portes doubles vitrées de ma serre. J’en ai quatre, que je pourrais récupérer, et vitrer avec les quatre côtés du côté sud. Cela constituera l’entrée de solaire passif. Le reste des murs serait isolés en ballot de paille. »

Structure

« Structurellement, tout ça tient maintenu ensemble en compression. Je me sers de sections de toiles, type toile de chapiteau, toile de coton, idéalement de la toile de chanvre huilée, qui se superposeraient les unes aux autres avec des tendeurs. C’est-à-dire qu’au départ, les ballots entre les poteaux dépassent car ils sont plus large, puis en comprimant le tout, on obtient une structure solide et compacte. Les tendeurs seraient des systèmes faciles, moi je suis marin donc ce serait avec du cordage. L’idée c’est de revenir à des techniques ancestrales en marine, fabrication des toiles, cordages etc. »

Toiture

« Pour le toit, j’ai une pièce centrale, comme dans une yourte. Un système de fermes de toit et de poutres me permettrait de remplir de ballot de paille. Le tout avec une clé centrale. Pour le sol, je ferais en fonction du terrain. Si j’ai la garantie que le sol reste sec, je peux  creuser une rigole autour de la yourte pour permettre le drainage, sur lequel je pourrais faire un plancher en ballot de paille, bien isolé. Si j’arrive sur un sol de terre, je pourrais terrasser le sol de manière à ce qu’il ne garde pas l’eau et faire un plancher sur terre battue. Dans ce cas, la partie devant les baies vitrées pourrait rester en terre naturelle pour permettre la culture en intérieur l’hiver. »

Chauffage

« Avec ce projet, j’ai une maison qui est isolée à l’équivalent de presque 1,5 fois l’isolation des maisons modernes. Donc pour ce qui est du froid l’hiver, y’a aucun problème.

D’un point de vue énergétique, je garderai mon système de panneau solaire. Pour le chauffage, je pourrais mettre un poêle de masse, je pourrais faire un foyer en terre. Je pourrais ensuite partir avec la maison et laisser le foyer sur le site. Mais tant que je pourrais déplacer avec moi le vieux poêle de 1929, c’est encore je pense, la machine idéale qui te permet de cuisiner et de te chauffer en même temps. C’est tellement bien fait ! »

Aménagement intérieur

« Enfin, sur le plan de l’aménagement intérieur, ça me donne un espace pour moi mais aussi pour mon fils qui pourrait me rendre visite, avec une chambre d’invité. Tout le reste est un espace commun, avec le poêle au centre, un comptoir, un espace cuisine, etc. Les chambres et salle de bain s’organisent autour. Finalement ce plan autour de l’espace commun fonctionne de telle sorte que tout le monde soit face à face. J’aime beaucoup cet esprit de convivialité, pouvoir se retrouver le soir autour d’une table, d’un feu. C’est un moyen de garder la communication ouverte entre les gens… »